mardi 20 avril 2010

C'est une bonne situation ça, musicien?

Vous savez, je ne pense pas qu'il y ait de bonne ou de mauvaise situation... Outre cette paraphrase plus ou moins célèbre du scribe de Astérix: Mission Cléopâtre, il reste que le musicien d'orchestre moderne est dans une situation bien précise.

Je choisis de parler de ça aujourd'hui parce qu'il m'est arrivé une expérience inattendue, et que ça m'a procuré un tel bonheur que j'aie bien l'intention de le partager. Je voudrais tout de même préciser que je vais parler ici, de l'instrumentiste d'orchestre qui accompagne un ou des solistes, plus particulièrement lors des productions lyriques.

Pour ceux qui l'ignore, les orchestres d'aujourd'hui bénéficient de certaines conditions dictées par des unions ou par des "syndicats" si on veut. Mal nécessaire, vu la grande quantité d'abus potentiel que peuvent causer les répétitions et même les représentations de spectacles, particulièrement au niveau des horaires. Il est donc dit que l'orchestre a droit à X min de pause par heure de répétition et qu'il ne doit pas répéter plus de Y heures dans une journée, ce qui est plus que justifié.

Par contre, il y a aussi des règles concernant les répétitions finales et les spectacles qui, malheureusement, empêchent le bon déroulement de certaines productions. Par exemple, dès que l'orchestre dépasse 3 heures lors d'une représentation, il tombe en temps supplémentaire, ce qui représente des milliers de dollars pour une cie parce que pour 3 min de trop, la cie se voit chargée 15 min de temps supplémentaire pour chaque musicien, et ainsi de suite, en augmentant par tranche de 15 min à chaque fois. Alors, si on ramène cette règle à l'opéra, et que l'on sait que la plupart des opéras présentés aujourd'hui ont pour plus de 3 heures de musique, on se retrouve avec un problème d'argent. Ça dure depuis des années en plus! Donc, très très rares sont les occasions où l'on a pu voir une production lyrique sans coupures ou modifications visant à terminer la représentation dans le 3hres sus-mentionné!

Les effets sont parfois désastreux: manque de temps lors des répétitions (où l'on doit arrêter et reprendre des extraits musicaux) ce qui fait que l'on ne peut répéter toute l'oeuvre d'un coup, et, encore pire, bien souvent des coupures horribles qui, même si elles peuvent faire du sens dramatiquement, n'en font pas musicalement (et vice-versa)... Il est plus difficile de l'expliquer que de l'expérimenter, mais, par exemple, le "Faust" de Gounod, dans sa version originale de près de 5 heures, avec, évidemment, une bonne distribution et une belle mise en scène, peut sembler moins long qu'une version "écourtée" de 3 heures avec cette même bonne distribution et une mise en scène aussi juste. Tout simplement parce que la suite logique de la musique est respectée et que l'on ressent, en tant qu'auditeur, cet ordre demandé par le compositeur et le librettiste. Ce n'est pas vrai cependant pour toutes les oeuvres du répertoire lyrique. Or, pour faire des coupures, il s'agit aussi de choix personnels, de la cie, des chanteurs, du chef d'orchestre et du metteur en scène. Je digresse, mais il y a matière à débat, à chaque fois, et c'est un casse-tête interminable pour toutes cies d'opéra!

Alors, je reviens sur mon idée première: les conventions "bureaucratiques" d'un orchestre. Je n'ai rien contre, mais je peux dire que j'ai développé, avec les années, une certaine aversion contre les musiciens qui prennent ces lois à la lettre... Remarquez, j'ai cette même aversion contre N'IMPORTE QUI qui prend toutes les lois à la lettre!! Exemple: ces policiers qui donnent des contraventions aux piétons qui traversent la rue n'importe où alors qu'il n'y a AUCUN traffic sous-prétexte que c'est la loi (je ne parle pas par expérience personnelle, mais ça pourrait très bien m'arriver!!) Donc, c'est souvent avec déception que j'ai vu des orchestres se lever et quitter alors qu'il restait encore une pièce à répéter ou les 12 dernières minutes d'un spectacle. C'est compréhensible, certes, mais décevant tout de même. Évidemment que les responsabilités d'aujourd'hui nous bousculent, mais si on est musicien, il faut bien aimer son métier non? Accepter de faire quelques concessions pour lui... Pas toutes, mais certaines... Le geste qui m'offense le plus ceci dit, c'est que l'orchestre, lorsque la représentation se termine, un fois qu'il a salué (et remercié le public, qui, rappelons-le, est quand même par sa seul présence la raison pour laquelle le métier de musicien existe encore), se barre!! Il s'en va l'orchestre, alors que les gens applaudissent toujours. Cependant, ce ne sont JAMAIS tous les musiciens qui partent, certains restent encore fidèle à l'amour tout simple qu'ils ont pour la musique. Même si ce texte est un long jugement, il n'est pas une condamnation, et il n'est pas non plus écrit de façon à viser un orchestre en particulier: c'est tout simplement l'état dans lequel sont les choses aujourd'hui...

Il y a une semaine de cela, je répétais "Bohème" à Monte Carlo. 2e répétition avec orchestre, on arrête souvent et on reprend, ce qui est normal, surtout avec la mise en scène. Heureusement, "Bohème" est un opéra qui dure 2 heures environ (plus une pause de 25 min), donc qu'il est tout à fait possible de passer l'oeuvre complète en une seule répétition, même avec les arrêts. 18h30, l'orchestre a terminé et Mimi n'est pas encore morte: il reste environ 7 min de musique. Le chef dépose sa baguette et dit bonsoir à tous puisqu'il est l'heure et que ça fonctionne comme ça. Mais quelqu'un (de l'orchestre) dit pourquoi s'arrêter, puisque nous sommes presque à la fin? Alors le chef demande à tous s'ils veulent terminer la répétition et d'un seul coup, on voit tous les archets, les pistons et les coulisses se mettre en branle, le chef reprend son baton, et on termine l'oeuvre. Petit moment anodin pour plusieurs, il m'a profondément marqué, pas parce qu'il était nécessaire (on aurait pu reprendre 2 jours plus tard sans problèmes!!), mais parce qu'il était spontané et évident. Pourquoi s'arrêter alors qu'on a pas terminé et que nous sommes si prêts de la fin?? Ce ne sont pas tous les orchestres qui auraient fait ça. J'ignore les conditions Monégasques pour un orchestre symphonique, mais merci à tous ceux qui ont pris le temps de bien vouloir profiter de ces moments de bonheur que peuvent nous procurer la musique, en particulier lorsque chacun fait partie d'un tout!

Ces réflexions en offenseront sans doute plusieurs, qui pourraient argumenter, avec raison, sur la société, sur le coût de la vie et sur le salaire véritable du musicien qui est, trop souvent, ridicule! Mais, justement, si l'on n'arrive pas à être complètement heureux, faute d'argent, peut-on l'être, en étant tout simplement dans le moment, dans la raison qui nous pousse à apprendre et travailler un instrument, une voix, un art, toute notre vie? Je me demande même pourquoi, chaque oeuvre et chaque production, aussi variées soit-elles (opéra, concert, comédies musicales, pièces de théâtre, danse, ballet classique et contemporain, etc...) sont-elles toutes couvertes par plus ou moins les mêmes règles? Pourquoi même, en tant que chanteur lyrique, je relève d'une branche floue de l'UdA, qui n'ont aucune idée comment gérer une carrière qui se doit presque obligatoirement d'être internationale? La politique dans la musique. Un mal nécessaire. Mais à quel prix?

Je pense qu'il est plus que temps, que chaque branche, voir chaque cie et même, qui sait, chaque production, prenne enfin un caractère personnalisé selon les besoin précis de cette production/branche/cie. Afin de rendre plus accessible à chacun ces petits gestes gratuits, mais qui au bout du compte nous rapporte beaucoup plus que toutes les conventions réunies.

À part ça pas grand chose...;)